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Feux Noirs

Frayer dans un monde impossible

DAKAR ON MY MIND.

Vue de Gorée

Vue de Gorée

 

 

Flashbacks : Dakar on my mind

 

[ ARTICLE publié le 14/11/2016 sur le Point Afrique http://afrique.lepoint.fr ]

 

 

Revenir sur les Ateliers de la pensée qui se sont tenus à Dakar. Une semaine après. Où, entre-temps, une partie du monde a été saisie par le séisme des élections américaines et ce qu'elles ont laissé entrevoir : l'émergence d'une rancœur raciale, de nouvelles fascinations meurtrières pour la suprématie de race, et l'éclosion d'un ressentiment, celui des dominants.

 

Nouveaux imaginaires

 

Le contraste est net. Durant les Ateliers de Dakar, de nouveaux imaginaires de puissance ont été dessinés, ayant pour centre l'Afrique et ceux qui se sentent responsables de son passé, de son présent, de son avenir. Dans ces imaginaires, le contre-mouvement des politiques droitières, populistes qui s'emparent d'une partie du monde occidental n'a aucun effet.

L'Europe, l'Occident ne fascinent pas. Le besoin d'une reconnaissance, verticale, qui emprisonnerait le monde intellectuel africain dans le face-à-face constant entre l'Afrique et l'Europe-Occident, est mort. Il ne gouverne plus les représentations, il ne définit pas les priorités intellectuelles, scientifiques, esthétiques et politiques qui se sont déployées à l'occasion de ces Ateliers, pour ne parler que d'eux.

Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre. Les Afriques reconstruites, imaginées, actualisées durant ces Ateliers ne sont pas des Afriques minées par l'instinct de revanche, et tiraillées par une conception jalouse des particularismes, de l'identité. Les Afriques évoquées sont des Afriques-mondes, déprovincialisées. Pour le dire comme Mbembe : « l'Afrique est planétaire ».

Dire cela, ce n'est pas bomber le torse, après quelques siècles d'exploitation et de violences qui d'ailleurs se prolongent. C'est, de manière circonstanciée et minimale, rappeler la multiplicité des voix intellectuelles qui se sont manifestées à Dakar et les positionnements politiques qu'elles portent.

 

 

Échos de la diaspora

Toutes les paroles réunies en octobre à Dakar renvoyaient à plusieurs histoires personnelles qui n'ont pas toutes commencé sur le continent africain, mais qui ont toujours cheminé avec lui. L'engagement clair des Ateliers a consisté à se ressaisir des intellectualités africaines, sans évacuer leur dimension diasporique.

L'enjeu fut important, particulièrement pour les jeunes chercheurs afrodescendants venus des espaces postcoloniaux francophones, européens et américains. Cette attention aux paroles de la diaspora a permis de compliquer les situations d'énonciation : d'où parle-t-on ? À qui s'adresse-t-on ? Comment se formulent et se construisent les objets de nos discours quand ils entendent dire quelque chose d'une relation à un continent où l'on ne vit pas ou plus ?

Il faut noter, ici, un des intérêts des Ateliers, qui constitue leur singularité. À aucun moment, la question de la situation d'énonciation des intellectuels de la diaspora n'a été recouverte par ces deux idées somme toute assez communes : celle de la multiplicité, celle de la déchirure. La première idée célèbre la prolifération des « racines » et des identités, dont la vertu serait d'abolir, définitivement, toutes les frontières et d'accomplir une véritable citoyenneté cosmopolite. La seconde interprète de manière exclusive l'expérience diasporique comme celle d'un tiraillement entre deux ou plusieurs cultures. La condition diasporique serait d'abord celle d'une blessure et n'autoriserait qu'un seul type d'affects : celui de la mélancolie.

Or, s'il ne s'agit aucunement d'effacer les expériences de la violence et de la cruauté, qui marquent le continent et sa diaspora, les paroles intellectuelles diasporiques, durant les Ateliers, ne l'ont pas fait à partir des tropes de l'identité et de la culture.

La catégorie de l'intellectuel « nomade » est vide et elle ne décrit certainement pas la situation d'énonciation des paroles afrodescendantes. Pour ma part, la condition diasporique invite plutôt à reconduire des questions de sédentaires : « Est-il possible de s'installer dans tels lieux pour y vivre ? » ; « Ces lieux offrent-ils des conditions de vie où les existences humaines ne sont ni brutalisées, ni diminuées ? Où elles accèdent à un statut ? » Ces questions sont politiques.

 

 

Écritures diasporiques et utopies

Ont ainsi pu éclore durant les Ateliers, d'une manière qui n'est paradoxale qu'en apparence, des écritures renouvelées de l'utopie (ce qui, littéralement, n'est d'aucun lieu) : quelles utopies politiques porter pour le continent africain ? Non pas au sens où elles ne pourraient jamais avoir lieu. Mais au sens où elles féconderaient de nouvelles représentations et de nouvelles formes d'actions politiques visant à soutenir les capacités d'action et de libération sociales, économiques, politiques, intellectuelles des peuples du continent, ici et maintenant. Par ailleurs, quelles utopies sont portées par les écritures diasporiques ? Pour quels lieux se façonnent-elles ?

Les paroles diasporiques, qui se sont déployées durant les Ateliers, tirent leur sens de leur relation à cette référence unifiante qu'est l'Afrique. Mais cette relation n'est pas un exclusivisme. Ces écritures nourrissent parfois des projets concrets de retour. Elles alimentent aussi la volonté de multiplier les possibilités de vie digne dans les différents espaces traversés par les diasporas, où elles sont, souvent, désignées comme des « problèmes » (W.E.B. Du Bois).

Vivre en diaspora, c'est s'inquiéter tout à la fois des conditions d'habitabilité du lieu d'où l'on vient ou auquel on se rattache, que du lieu où l'on vit – qu'on soit contraint d'y rester ou qu'on l'ait choisi. Ce qu'a ainsi offert Dakar pendant trois jours, c'est la possibilité de questionner, politiquement et depuis l'Afrique, nos manières d'habiter le monde. Non plus simplement de faire « dialoguer les lieux » (Boulaga), mais aussi de se confronter sans détour aux urgences politiques portées par le fait de vivre en plusieurs lieux, qui parfois abîment, détruisent, et qu'il faut dès lors transformer.

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